Le Kel Ilbakan est en fête, la Féria annuelle y bat son plein.
Dans les souks, les cheikhates chantent, les laâlaoui dansent. Ils tapent des mains et braillent des couplets frénétiques. Nuages de fumée des grillades, parfum du thé à la menthe, marchands ambulants, jongleurs et autres acrobates... Au milieu de tout ce brouhaha, une cavalière s'avance et se dirige vers le village des tentes.
Tous les Kel y sont représentés, les bannières claquent au vent.
Une imposante tente noire rayée de blanc se détache au milieu de l’alignement de toutes les autres ; la khzana. La tribune des cheiks et des notables. De là, la vue est imprenable sur la place ou va se tenir l’événement clé: la fantasia des kels.
Quatres années que le fils du cheik des Ilbakan gagne cette course guerrière, quatres années que ce clan organise la cavalcade. Quatres années que les Ilbakans s'élévent ainsi avec honneur au rang des premiers guerriers.
A quelques mètres de là, les chevaux foulent allégrement le sol dans leurs harnachements d’apparat rouge et or.
Cinq cents cavaliers se sont donnés rendez-vous au même endroit.
Par équipe, les trois clans ont quelque mal à s’aligner correctement.
La tension se lit sur les visages des hommes qui se scrutent, leur nervosité à fleur de peau.
Ils sont très concentrés, drapés dans leur balks, leur burnous et leur sarouel: leurs pantalons bouffants
La position au départ est essentiel pour gagner ce combat imaginaire.
Ce qui est frappant, c’est l’âge disparate des participants ; des vieillards de plus de soixante-dix ans côtoient de jeunes cavaliers de dix-huit ans.
Une cavalière se mêlent au groupe. Parmi les Ilbakans, les colibets fussent, certains font mine de la repousser.
Ajjers et Ress la salue discretement, et peu à peu l'entoure, la séparant de l'autre clan. Les Ilbakans, étonnés, se taisent.
Le départ tarde un peu et les cavaliers serrent les brides, calent le pied dans l’étrier pour retenir les chevaux qui piaffent.
Le cheik des Ress avance vers le groupe sur son cheval alezan.
A ce un signal, les chevaux avancent d’une dizaine de mètres, lentement, nerveusement, majestueusement.
Dressé sur ses étriers, le cheik lève son cimetère et crie la formule consacrée: les chevaux sont prêts !
Les cavaliers lâchent alors la bride et donnent le coup d’éperon décisif.
Les chevaux s’élancent à vive allure en se frôlant.
Les youyous modulé des femmes déchirent le ciel au-dessus de la plaine.
La charge héroïque contre l’envahisseur imaginaire est déclenchée.
La poussière s’élève et les sabots font rouler leur tonnerre sur la terre sèche.
La cavalière n'est pas partie, elle semble hésiter. Déjà le long ruban de fumée est à la moitié du chemin vers la pierre qu'ils contourneront pour revenir.
Deux femmes sortent de la foule, les premières femmes des cheiks Ajjer et Ress. Elle se regardent, se parlent puis lancent le long hullulement de la Scoumoune. La cavaliere lance alors son cheval. Il se cabre puis file comme le vent.
Les cavaliers reviennent, abandonnent la bride, se dressent sur les étriers, sortent leur boucliers et leur armes.
A leur tête, cent pas devant, galope la Scoumoune, l'arc à la main.
Ils foncent sur la foule en délire. Le spectacle est effrayant et grandiose, le bruit assourdissant.
Tremblement du sol, bruit des sabots, youyous jouissifs des femmes. Un baroud pour l'honneur.
A quelques enjambées de la ligne d’arrivée, la Scoumoune s'arrête, recule, se détourne et laisse passer les seigneurs du désert qui passent en trombe.
La nuit est tombée, Dans la khzana, les cheiks ont décidé. Le premier fils des Ilbakans sort de la tente, un sourire aux lèvres. Dans sa cape rouge, il a emballé le bouclier et le cimetère uniques, destinés au vainqueur. Sur son cheval, il parcourt le village et tourne autour des tentes, puis s'enfonce dans le desert. Il semble chercher quelqu'un.
La légende dit qu'il l'a trouvée, qu'ils ont échangé des propos écris... Les légendes disent tant de choses...
Néanmoins, chez les Ilbakans, un prénom est resté associé à la Scoumoune, celui de Nessa, la Demoiselle.