Comment ne pas oublier son regard ?
Ce jour ne cesse de me hanter alors que je cherche désespérement à chasser son image.
Mais irrémédiablement je la vois, comme si tout se passait devant moi.
Cela finira par me rendre fou !
----------
Le vent semblait vouloir fendre la terre en deux.
Un sifflement étourdissant balayait les voiles du Dragon Rouge, fier navire marchand, convoyant parfois des passagers à la bourse bien pleine et plutôt généreux.
Pourtant, en cet instant, on aurait que ce fier amas de bois et de fer ne soit que l'objet d'une plaisanterie du temps.
Balloté comme un fétu de paille, il parraissait près à se briser sur la pierre forte du quai où, la veille, on l'avait encré.
Tout cela aurait pu sembler banal aux yeux des vieux marins habitués aux caprices du ciel, mais voilà, le spectacle qui se déroulait ce jour là relevait de la folie la plus pure.
Suspendue par de lourdes chaînes au mat du Dragon, une silhouette écarlate riait aux éclats.
Les bras ouverts, elle semblait chercher la morsure de la pluie froide et violente, comme désirant s'en imprégner. Son visage était régulièrement fouetté par une longue chevelure sombre qui ne voulait plus être sage. Il y avait dans cette scène un pur lyrisme.
Qui, je dis bien qui, ferait une chose pareille ?
Seul un esprit détangé, ignorant la force de la nature, sa cruauté...
Pourtant, pour celui qui se serait rapproché, nulle folie ne hantait ce regard délavé, trop clair, trop intense. Juste de la joie... Une joie immense.
----------
J'aurai tant aimé m'envoler jusqu'à elle...
J'aurai voulu être ces chaînes...
J'aurai tout donné...
REGARDES-MOI !
----------
Dans un coin sombre, une autre silhouette ne perdait rien de la scène.
Pour le passant, juste une ombre, rien de plus.
Mais pour l'oeil aiguisé, une imposante créature, enroulée dans une cape tout aussi rouge sombre que les vêtements portés par celle qui défiait le temps.
La foudre s'abatit soudain sur le mat, zébrant le ciel en y défiant la nuit.
Durant un instant, son coeur, si il en avait un, cessa de battre.
Etait-elle touchée ?
Il fit un effort pour éclipser son aveuglement provoqué par la lumière violente.
Elle n'était plus là !
Il allait courir vers le navire quand il vit quelque chose bouger sur le port. Il s'arrêta net : c'était elle. Trempée, ses vêtement dévoilant honteusement ce corps qu'il tentait d'oublier, elle s'en retournait vers la cité, faisant danser les chaînes en sifflotant. Il ne l'avait jamais trouvé aussi belle qu'en cet instant...
Comme il pouvait la haïr !
Si seulement ses mains pouvaient serrer son cou... Effacer son sourire... Détruire sa beauté sauvage qui le hantait chaque nuit comme une brûlure intense, une maladie mortelle qui le rongeait chaque jour.
Si seulement...
Sujet: La tempête... 
Sam 13 Sep - 13:26